Pour Emmanuel Ménard, le CPT n’est qu'”une gargote à neuf sans aucun résultat”

Dans une interview accordée à la journaliste Tina Abblens, le Président de la Force Louverturienne Réformiste, Dr. Emmanuel Ménard, a abordé la question de la crise qui ronge Haïti depuis quelque temps, taclant ainsi la Communauté internationale qui a maintenu le pays dans un éternel assistanat doublé de la mauvaise foi des dirigeants qui se sont succédé.
Sans prendre de gants, l’ancien Directeur Général de la Télévision Nationale d’Haïti a responsabilisé aussi bien les Haïtiens et les tuteurs, tout en fournissant des pistes en vue de la sortie du chaos.
« Je reconnais qu’Haïti a été réduite à la dépendance et même à la mendicité car beaucoup de nos dirigeants n’ont pas su défendre l’intérêt national. Je veux rappeler qu’Haïti n’a jamais été une priorité pour la communauté internationale malgré l’occupation et les interventions militaires. Aucun investissement majeur des multinationales n’y a été fait le siècle dernier, contrairement en République Dominicaine, à Cuba, à la Jamaïque par exemple. Notre excellente main-d’œuvre bon marché a été exploitée tout simplement. Même après le terrible séisme de 2010, les investissements promis n’ont pas été au rendez-vous. Les ONG n’ont fait que de l’humanitaire et là encore, hélas ! » a répondu Emmanuel Ménard à une question de la journaliste invoquant le fait qu’Haïti soit ‘’totalement’’ dépendante de la communauté internationale.
Alors que les États-Unis, le Canada ou la France ne ratent jamais l’occasion de se présenter comme des « amis d’Haïti », le propriétaire de Radio Télé Cosmos, comme bon nombre d’Haïtiens d’ailleurs, n’est pas dupe. Sa réponse sur ces amitiés soulignées par Tina Abblens est éloquente :
« J’ai vu le soutien donné à l’Ukraine et Israël. Depuis environ cinq ans, Haïti cherche une coopération militaire pour mater des foyers terroristes et des groupes armés. Rien de concret. L’État haïtien ne peut pas acheter des armes et les terroristes s’approvisionnent sous le manteau sur les marchés américains et dominicains. Le président Jovenel Moïse a été assassiné chez lui, mais dans les bras de l’international qu’il croyait le soutenir. Les agences de renseignements des grandes capitales n’ont, semble-t-il, rien vu. De 2021 à aujourd’hui, le pays compte plus d’un million de déplacés devenus des sans-abris, 200.000 victimes de pillage de biens, de torture, de viol et de kidnapping, environ 25.000 morts et disparus. Par contre, les administrations Biden et Trudeau ont protégé pendant plus de trois ans la coalition menée par Ariel Henry et ont favorisé à travers la CARICOM, l’installation d’un exécutif bicéphale avec neuf conseillers à la Présidence et un Gouvernement dirigé par un Premier Ministre. Au sommet du 11 mars, j’ai été contre cette formule presqu’imposée. Une véritable gargote à neuf, sans aucun résultat ».
Lors de cette entrevue, la journaliste indépendante a tout naturellement, actualité oblige, demandé à l’interviewé ce qu’il espérait du retour de Donald Trump, d’autant que celui-ci annonce la couleur notamment en ce qui concerne la migration. Sans équivoque, Dr. Ménard a précisé qu’Haïti veut des alliés et pas des tuteurs, avec un partenariat gagnant-gagnant.
« Je salue l’arrivée de la nouvelle administration américaine avec le Président Trump à qui je souhaite du succès. Il est une personnalité très pragmatique et d’une franchise même rude. J’ai entendu les récentes déclarations du Sénateur Marco Rubio qui sera en charge du Département d’État, cela indique une politique de rupture des USA dans le traitement du dossier haïtien et vis-à-vis des autorités de facto. J’en accepte de bonnes augures les nouvelles relations avec Haïti mais il appartiendra aux Haïtiens de prendre en main leur destin. Haïti First, pour paraphraser Président Trump », a-t-il déclaré véhémentement.
Revenant sur le modèle à suivre que fut Haïti dans les Caraïbes, la journaliste, soulignant que tout va mal, s’est demandée comment en est-on arrivé là ?
A cette interrogation, le responsable du Bloc du Milieu a dénoncé comme véritables responsables : les novices, les corrompus et les apprentis dictateurs qui, arrivés au pouvoir, ont construit le chaos plutôt que de construire un Etat. Vous pointez qui du doigt ?
A cette question directe de T. Abblens, Emmanuel Ménard répond : « Un grand ensemble. A l’effondrement du régime héréditaire duvalérien, un saut légitime vers la démocratie était nécessaire pour construire un État moderne, mais tout a été galvaudé. Nous avons confondu « transition » et « gouvernement provisoire ».
Aucune bascule du système rétrograde vers un État démocratique avec des institutions républicaines fortes, n’a, en fait, été réalisée. Ce n’est pas en votant une constitution libérale que les régimes politiques deviennent démocratiques. J’affirme que la grave situation d’Haïti est due à une mauvaise gouvernance continue. En 1986, au lieu de corriger les dérives de la dictature, l’on a jeté le bébé avec l’eau du bain. Ensuite, des crises électorales ont débouché sur ce pétrin. Et ce sont les mêmes groupes qui se partagent aujourd’hui le pouvoir. On ne pouvait pas s’attendre à mieux ».

Comme à son habitude, Emmanuel Ménard ne se contente pas de diagnostiquer le problème sans fournir des pistes de solutions. Alors que les autorités sont réticentes à qualifier la « crise sécuritaire » qui secoue le pays, le responsable de Force Louverturienne réformiste estime que depuis la fin de 2021, Haïti ne fait plus face au banditisme, mais au terrorisme avec un mode opératoire semblable à la guérilla urbaine.
« J’avais proposé de créer une brigade antiterroriste mixte avec des militaires et les éléments des unités spéciales de la PNH, de créer un centre de formation rapide et une agence d’intelligence. A l’époque, l’international ne voulait pas que les Forces Armées d’Haïti soient impliquées alors que la PNH, démunie de tout, ne pouvait contenir les groupes armés. Tout le monde sait que ces groupes ont été armés et financés par des gouvernements successifs depuis 1991 sous la Présidence d’Aristide, celles de Préval, Martelly et Moïse, aussi par des particuliers, des cartels de candidats, d’acteurs politiques et de groupes économiques », a-t-il expliqué, tout en recommandant, à un niveau politique pour freiner la descente aux enfers : une nouvelle gouvernance intérimaire avec un Président Provisoire issu de notre Cour Suprême, un Cabinet Ministériel de mission.
Et quand l’on demande à Emmanuel Ménard comment voit-il l’Avenir d’Haïti, sa gravité prend congé pour céder la place à un optimisme de raison : « Haïti est un pays vierge et le moins endetté des Amériques avec une population dont 60% sont en-dessous de 30 ans. C’est un morceau d’île avec des possibilités immenses pour les métiers de la mer et le tourisme. Nous devons rapidement investir dans la production nationale, les infrastructures, les nouvelles technologies, la culture, les arts et les sports. Je connais des investisseurs intéressés dans une production industrielle du sel, des fruits de mer, du charbon de terre et des cimenteries. Notre lignite à Maïssade peut alimenter une usine électrique pendant 30 ans. Notre carbonate de calcium dans les Nippes seulement, représente une réserve de plus de 160 millions de tonnes. Il est utilisé dans l’industrie cosmétique, pharmaceutique, la fabrication de peinture, des PVC, de carreaux etc. Le marbre, le granite et les argiles offrent une diversité étonnante. Il suffit de se mettre au travail, retenir la main-d’œuvre à la maison et réduire de façon considérable la migration illégale de nos concitoyens en Floride et en République Dominicaine. La reconduction de la loi Hope est indispensable pour conserver quelques emplois. A l’exemple d’un Plan Marshall, le Plan Louverture déposé au Congrès américain pourrait amorcer le développement national avec des investissements massifs. Pour ce faire, nous devons rétablir la sécurité et créer les conditions pour la tenue des prochaines élections ».