Patrick Alexis revient sur les ratés de 2024 et l’impératif du sauvetage d’Haïti en 2025
De son lieu d’économiste et citoyen engagé, préoccupé par les tourments et les travers du pays, Patrick Alexis s’adonne depuis quelque temps à l’exercice de toucher les plaies du doigt et de livrer ses impressions sur ce qu’il croit être des formules salvatrices pour Haïti. Tandis que 2025 frappe à nos portes, le nordiste a tenu à partager son diagnostic, pour le moins sévère, des occasions vendangées ou encore des opportunités manquées au cours de l’année 2024 tout en exhortant les acteurs à avoir le bon réflexe, dans le futur, au nom de l’intérêt collectif…
HAITI 2024 : UNE ANNEE GASPILLEE
L’année 2024 restera gravée dans l’histoire d’Haïti comme celle des grandes désillusions. Une succession de crises et d’occasions manquées a marqué tous les domaines : politique, économique, social, et même les élites. Cette année s’inscrit dans une continuité de gaspillage, où espoir et résilience du peuple semblent une fois de plus avoir été trahis.
L’année a été caractérisée par une polarisation extrême, où les acteurs politiques, sociaux et économiques n’ont pas su, ou voulu, se parler. Les opportunités d’entente nationale, indispensables pour sortir le pays de l’impasse, ont été sabotées par des querelles de pouvoir et des intérêts personnels. Ce manque de dialogue a non seulement paralysé les institutions, mais aussi aliéné une population qui espérait un minimum de stabilité.
2024 aurait pu être une année de relance pour Haïti, une année où l’espoir d’un avenir meilleur aurait pris racine. Mais elle s’est soldée par un nouvel échec, marqué par l’absence de dialogue, le manque de bon sens et l’incapacité à mobiliser l’intelligence collective pour résoudre les crises. En 2024, les Haïtiens avaient placé leurs derniers espoirs dans les promesses d’un changement tant attendu. Mais cet espoir a été englouti par l’inaction, les querelles politiques et l’absence de mesures concrètes pour répondre aux besoins fondamentaux. Le désenchantement collectif s’est accru, renforçant la frustration et la méfiance envers les dirigeants.
Gaspillage Politique
2024 a vu une continuité dans l’exploitation du pays par des acteurs politiques sans scrupules. Ces « coquins ou déchets politiques » se sont enrichis sur le dos de la misère populaire, laissant une majorité de citoyens dans un état de précarité extrême. La classe politique a continué de prouver son incapacité à gouverner dans l’intérêt du peuple. Les scandales de corruption, l’enrichissement personnel et l’irresponsabilité collective ont maintenu le pays dans une spirale descendante, privant la population des ressources nécessaires à sa survie.
L’année 2024 restera dans les mémoires comme celle où Haïti a expérimenté trois transitions politiques sans cap clair. Trois transitions en une seule année : Dr Ariel Henry, Dr Garry Conille, et enfin Alix Didier Fils Aimé. Chaque passage au pouvoir a été une opportunité manquée de stabilisation et de réforme. Ces dirigeants, tout en promettant des changements significatifs, n’ont laissé que des bilans fades, illustrant une absence de vision pour l’avenir du pays. Cette instabilité politique a non seulement alimenté les mécontentements populaires, mais elle a aussi paralysé les institutions déjà fragiles. Les transitions politiques censées marquer un renouveau se sont révélées être de simples réorganisations superficielles. Sans vision à long terme ni stratégie claire, ces périodes ont contribué à l’instabilité et au renforcement du statu quo.
Transition Ariel Henry : Une gouvernance prolongée sans réformes majeures, marquée par une aggravation des inégalités.
Transition Garry Conille : Porteuse d’espoir, mais rapidement submergée par des intérêts partisans.
Transition Alix Didier Fils Aimé : Une arrivée tardive, avec des attentes élevées et des moyens insuffisants.
Le leadership en Haïti en 2024 s’est révélé inefficace, incapable de rassembler la nation autour d’un projet commun. Les responsables politiques, au lieu de promouvoir le bien commun, se sont livrés à des luttes de pouvoir stériles, éloignant davantage le pays de la stabilité et du progrès.
Ces passages successifs illustrent un système politique dysfonctionnel, où l’État joue le rôle de pompier, sans vision ni planification stratégique.
Gaspillage Économique
Haïti, à genoux économiquement, n’a vu aucun plan de relance crédible en 2024. L’économie a continué de s’effondrer, étouffée par des pratiques improductives et une corruption rampante. Les investissements étrangers se sont raréfiés, les PME ont failli, et les secteurs agricoles et industriels, autrefois prometteurs, ont été abandonnés. L’insécurité généralisée a paralysé le pays, rendant impossible tout progrès.
Les gangs armés ont élargi leur contrôle, limitant l’accès à l’éducation, à la santé et au travail. Cette instabilité a également découragé les investissements locaux et étrangers. Une année où les opportunités d’innovation et de modernisation ont été dilapidées. Les engagements pris pour relancer l’économie, améliorer la sécurité ou garantir l’accès aux services de base n’ont pas été tenus. Les discours des dirigeants se sont avérés être de simples outils de communication sans réelle volonté d’action.
Haïti subit une paralysie économique orchestrée par :
- Une fiscalité faible qui limite les investissements publics.
- L’effondrement de l’agriculture, autrefois moteur économique.
- L’emprise des gangs sur 80 % de Port-au-Prince, entravant les échanges et aggravant l’inflation.
- L’économie haïtienne, contractée pour la sixième année consécutive, se caractérise par une dépendance aux transferts de fonds de la diaspora, un indicateur d’un exode massif du capital humain.
Gaspillage Social
Les tensions sociales, alimentées par les inégalités croissantes et un désespoir profond, ont dominé. Le manque de réponses structurelles aux problèmes de santé, d’éducation et de logement a laissé des millions de citoyens dans une détresse insoutenable. Les jeunes, en quête d’un avenir meilleur, continuent d’émigrer en masse, vidant ainsi le pays de ses forces vives. Face à des défis existentiels, les priorités sociales du pays ont été continuellement mal définies. Au lieu de s’attaquer à l’insécurité, à la pauvreté et au délabrement des infrastructures, les dirigeants ont investi leur énergie dans des programmes sociaux inefficaces et des discours creux. Le bon sens, si crucial dans une telle crise, a cédé la place à des demonstrations irrationnelles, souvent motivées par des intérêts partisans.
La pauvreté chronique et l’exclusion sociale ont continué à dévaster les communautés. Les inégalités se sont accentuées, créant un fossé insurmontable entre les différents segments de la population. Les violences et l’insécurité ont provoqué une crise humanitaire majeure, forçant des milliers de familles à fuir leurs foyers. Ces déplacements internes et externes ont engendré des conditions de vie inhumaines, avec une population sans abri, sans ressources et sans espoir.
Inégalités criantes : Près de 60 % de la population vit avec moins de 3,65 USD par jour.
Services publics en ruines : Seulement un tiers des Haïtiens ont accès à l’électricité, et 55 % à l’eau potable.
Éducation en crise : Près de la moitié des Haïtiens adultes sont illettrés, et 4,2 millions d’enfants privés d’éducation.
La vulnérabilité sociale est exacerbée par des catastrophes naturelles et des épidémies comme le choléra.
Gaspillage des Élites
Haïti regorge de talents et de compétences, tant à l’intérieur qu’au sein de sa diaspora. Pourtant, en 2024, ces ressources humaines ont été négligées. Les dirigeants n’ont pas su ou voulu faire appel aux experts, aux entrepreneurs, aux leaders communautaires et aux intellectuels capables de proposer des solutions innovantes et réalistes. Ce gaspillage de l’intelligence collective a renforcé l’impression d’un pays livré à lui-même.
Les élites économiques et intellectuelles, censées guider la société, se sont repliées sur leurs intérêts personnels, souvent au détriment du bien commun. Ces classes dirigeantes, bien qu’en position de pouvoir, n’ont su ni influencer positivement les transitions ni proposer des solutions durables. Les élites haïtiennes persistent dans leur stratégie de profit à court terme, négligeant les impératifs du développement durable. L’absence de réformes agraires et la mainmise sur les institutions publiques témoignent d’un immobilisme destructeur.
Gaspillage des Opportunités
De nombreux projets de coopération internationale et de développement communautaire ont échoué par manque de suivi et de volonté politique. Des millions de dollars d’aide internationale ont été dépensés sans aucun impact tangible sur le terrain, illustrant une incapacité chronique à gérer les ressources disponibles. Les relations internationales, loin de renforcer le pays, ont souvent contribué à ses déboires. Certains « amis » d’Haïti, sous couvert d’aide, ont imposé des solutions inadaptées, renforçant la dépendance et aggravant la situation économique et sociale.
Les alliances internationales ont souvent été empreintes d’ambiguïtés. Derrière une aide apparente se cachent des agendas qui ne servent pas toujours les intérêts du pays. Ces « faux amis » ont aggravé la dépendance d’Haïti, sans apporter les solutions durables promises.
Malgré une communauté internationale prête à intervenir, les initiatives sont souvent diluées par une mauvaise gestion et des luttes d’influence. L’arrivée des forces kényanes sous mandat onusien pour restaurer la sécurité jusqu’ici n’est pas une opportunité car tout en etant fragile face à des défis structurels les resultats ne sont pas trop probants.
Lutter contre le Gaspillage : Réforme ou Révolution ?
Face à ces constats, une question demeure : Haïti peut-elle se redresser sans une refonte totale de son système ?
Alors que la maison du peuple haïtien brûle, la question se pose : réforme ou révolution ? Les réformes incrémentales semblent inadéquates face à la profondeur des maux qui rongent le pays. Une rupture radicale, voire une révolution sociale et politique, pourrait être la seule voie pour sortir du marasme actuel.
Réforme : Renforcer les institutions, stimuler l’économie formelle et combattre la corruption.
Révolution : Mobiliser la société civile pour une rupture radicale avec le modèle actuel.
PROJECTIONS POUR 2025
Alors que 2025 se profile, il est urgent de rompre avec ce cycle de gaspillage. Haïti doit faire de 2025 l’année du redressement. Cela exige et passera par :
- Une stabilisation politique durable, avec un leadership fort, inclusif, courageux et visionnaire, prêt à s’attaquer aux problèmes structurels du pays
- Un plan économique axé sur la relance des secteurs stratégiques comme l’agriculture et l’énergie.
3. Un investissement massif dans les infrastructures sociales, notamment l’éducation et la santé.
4. Une mobilisation citoyenne sans précédent, pour tenir les dirigeants responsables.
5. Une meilleure gestion de l’aide internationale, alignée sur les véritables besoins du peuple haïtien.
6. Instaurer un véritable dialogue national, impliquant toutes les parties prenantes, pour trouver des solutions consensuelles.
7. Prioriser les urgences nationales, notamment la sécurité, l’éducation et la création d’emplois.
8. Mobiliser les intelligences locales et internationales, en créant des plateformes de collaboration pour résoudre les problèmes structurels du pays.
9. Rompre avec les logiques de complot, en renforçant la souveraineté nationale et en exigeant des partenariats internationaux transparents et équitables.
10. Encourager une gouvernance responsable, basée sur la transparence, la reddition de comptes et la lutte contre la corruption.
2025 doit être une année de rupture et de reconstruction. C’est une opportunité pour Haïti de se réconcilier avec elle-même et de poser les bases d’un avenir plus juste et plus prospère. 2025 doit être une année d’espoir renouvelé, où l’action remplacera les paroles, et où les aspirations du peuple haïtien deviendront une priorité absolue.
Haïti est un pays en sursis. Les crises multiples, alimentées par le gaspillage des ressources humaines, économiques et naturelles, exigent une prise de conscience collective. Militer contre ce gaspillage n’est pas seulement une nécessité économique, mais une urgence nationale. La maison brûle… et nous regardons. Haïti ne peut plus se permettre de gaspiller son potentiel. 2024 doit servir de leçon amère pour garantir que 2025 devienne enfin une année de reconstruction et d’espoir renouvelé.
Patrick Alexis
Citoyen Engagé
30 Decembre 2024