Dette de l’indépendance: à l’ONU, Edgard Leblanc sur les traces de Jean-Bertrand Aristide

Dette de l’indépendance: à l’ONU, Edgard Leblanc sur les traces de Jean-Bertrand Aristide

« En 1825, à peine 21 ans après avoir gagné sa liberté au prix d’une lutte héroïque, Haïti a été contrainte de payer une dette colossale à la France, pays colonisateur, en échange de la reconnaissance de son indépendance. Cette rançon, imposée sous la menace, a siphonné les ressources de la jeune nation, la plongeant dans un cycle infernal d’appauvrissement dont elle peine toujours à sortir. 

Cette dette a été une forme de punition pour sa hardiesse à se libérer des chaînes de l’esclavage et hisser l’être haïtien à la dignité de l’Homme. 

Elle a été une pénalité injuste qui a asphyxié le potentiel économique et social du peuple noir d’Haïti pendant des générations… », a déclaré droit dans ses bottes, le Président du Conseil présidentiel de transition, Edgard Leblanc, à la tribune des Nations unies, le jeudi 26 septembre 2024. 

Ainsi, par ce discours déjà qualifié d’historique, l’actuel numéro un de l’Exécutif spécial, a rejoint l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide qui, lors d’une cérémonie devant le musée du Panthéon national haïtien, le 7 avril 2003, en présence de plusieurs milliers de personnes, avait réclamé à la France la somme de 2,7 milliards de dollars à titre de « restitution et de réparation »

Outre l’acuité de la crise sociopolitique qui ravageait le pays dans les années 2000, l’armement des « chimères » par le régime Lavalas qui exacerbait la colère populaire et d’autres intérêts de classe et purement économiques, il est souvent admis que Jean-Bertrand Aristide avait été évincé du pouvoir pour avoir également ‘osé’ sommer la République française de restituer à Haïti la dette de l’indépendance qui a freiné l’envol de la Première République noire. 

Même si du côté du ‘peuple’ cette sommation lavalasienne avait eu réception favorable, pour d’autres secteurs, l’ancien prêtre n’avait fait que signer son arrêt de mort politique. Mais, déterminé à porter la France à corriger ce ‘grand mal historique’, toute une campagne avait été lancée autour de la question. « Restitisyon pou Ayiti. Ochan pou zansèt nou yo » (en français : Restitution pour Haïti. Honneur à nos ancêtres). C’est ce qu’on pouvait lire sur des banderoles à travers différents endroits du pays à l’époque. 

De quoi énerver les colons, les néocolons, les pro-français, les anti-Lavalas… 29 février 2004, c’était déjà la fin de l’aventure présidentielle pour Jean-Bertrand Aristide.

Vingt (20) ans après, c’est Edgard Leblanc, arrivé au pouvoir à la faveur d’une crise sociopolitique, sécuritaire et humanitaire aiguë, qui fait revivre cette vieille demande de restitution et de réparation en faveur d’une Haïti dont l’image repoussante actuelle contraste avec sa grande histoire passée. 

« Dans le contexte d’aujourd’hui où plus que jamais l’attention est portée sur les efforts pour restaurer sans délai la sécurité et répondre aux immenses besoins humanitaires en Haïti, il me parait important d’attirer l’attention de l’Assemblée sur les séquelles du passé colonial et des rançons payées à certaines puissances qui ont largement hypothéqué le développement d’Haïti. Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’Haïti a été le seul pays à avoir payé pour son indépendance obtenue pourtant dans le feu et le sang. A la veille du bicentenaire de cet évènement inédit dans l’histoire du monde n’est-il pas venu le moment de la restitution des montants consentis ? A cet égard, mon pays s’est félicité des propositions formulées par un certain nombre de Gouvernements et également certaines agences des Nations Unies pour des actions concrètes en vue de la reconnaissance, la réparation et la restitution des torts du passé. Haïti a confiance sans réserve dans l’Organisation des Nations Unies, dont les piliers sont la lutte pour l’égalité entre les peuples et le maintien de la paix entre les nations, pour jouer son rôle notamment dans la mise en place de mécanismes appropriés pour faciliter le dialogue entre les pays victimes de la colonisation et les anciennes puissances coloniales… », a poursuivi le dirigeant de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) comme pour tenter de rallier plus de nations à cette grande cause historique. 

Vite qualifié d’historique tant sur les réseaux sociaux que dans les médias traditionnels, ce discours vaut à Edgard Leblanc une belle image au sein du Conseil présidentiel de transition éclaboussé par un scandale de corruption. 

Dans l’intervalle, l’on se demande pourquoi cette même demande de restitution et de réparation en faveur d’Haïti, formulée par une bouche lavalasienne, avait suscité autant d’animosité et de controverses jusqu’à faire perdre son poste au père de l’idée. 

Jean-Bertrand Aristide avait-il raison trop tôt comme le pensent certains observateurs ?  Dans la foulée des questions, l’on peut se demander s’il s’agit du bon timing pour asséner une telle douche froide à la France, quand on sait qu’Haïti en 2024 ne compte que sur la sainte mère Communauté internationale pour sortir du chaos ? 

L’on peut encore s’interroger : comment cette allocution est-elle reçue par la France, toujours incapable d’accepter son passé d’esclavagiste ? Edgard Leblanc est-il désormais le nouveau Jean-Bertrand Aristide, donc la cible à abattre ?  

En tout cas, pour l’heure, en Haïti, le président du Conseil présidentiel de transition est sorti renforcé après ce discours qui ne manquera pas de faire date. A côté, des Lavalasiens se targuent d’avoir la paternité de cette idée hardie, qui tape sur les nerfs l’ancienne puissance coloniale française, voire l’Occident. En tout et pour tout, c’est Haïti qui gagne en sommant une fois de plus la France d’Emmanuel Macron et de son ancêtre Charles X à reverser à la Première République noire du monde la ‘rançon’ d’une Indépendance gagnée au prix du sang d’Humains esclavisés.

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