Ces mangeurs de constitutions !

Ces mangeurs de constitutions !

Par Me Sonet Saint-Louis,

À l’occasion du 38e anniversaire de la constitution haïtienne, nous diffusons ci-après quelques extraits de la conférence prononcée par Me Sonet Saint-Louis, professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit de l’université d’État d’Haïti sur la question brulante d’une possible suppression de la Constitution de 1987 par le Conseil présidentiel de transition en place.

La Constitution de 1987, depuis son adoption par un vote référendaire, n’a cessé de subir des attaques de la part des habituels démolisseurs de lois fondamentales, qui ont toujours entretenu un rapport difficile avec le droit et la loi.

Une première initiative d’amender la Constitution de 1987 sous l’administration de René Préval n’a pas permis d’améliorer intellectuellement le texte originel, qui comporte des failles sérieuses, ni de faire avancer le droit haïtien. La raison en est que peu de personnes qui discourent sur la Constitution de 1987 la connaissent réellement. Dans ce cas, il se révèle donc impossible de changer une réalité que l’on ne comprend pas. Certaines critiques proposent de supprimer le texte de 1987, qui a instauré un régime parlementaire, pour le remplacer par un régime présidentiel, proche de celui des États-Unis. Avec ce changement de régime, ils espèrent mettre fin aux problèmes d’instabilité auxquels notre pays fait face depuis trois décennies.

Comme René Préval, le groupe de travail sur la constitution, composé d’anciens collaborateurs de ce dernier, aboutit au même constat : le texte de 1987 est à la base de la mauvaise gouvernance du pays. Pour résoudre ce problème, ils proposent un exécutif fort, en réduisant l’importance des autres pouvoirs. En prenant cette direction, ils rompent totalement avec les idées des philosophes des siècles précédents, qui considéraient que le pouvoir exécutif devait être modéré et équilibré par les freins et mécanismes d’un État de droit, car c’est de celui-ci que la dictature ne peut surgir.

À l’instar de nombreux juristes intéressés par la question constitutionnelle, nous pensons que des amendements sont nécessaires à la Constitution pour la purifier de ses imperfections. La Constitution de 1987 est une œuvre humaine, et, comme telle, elle n’est pas parfaite. Il est donc essentiel de la réviser en tenant compte des mutations économiques, sociales et politiques qui se produisent dans notre société, afin qu’un jour elle devienne une œuvre intellectuelle, élaborée à partir de notre fondement naturel, et un objet de fierté nationale.

Le travail du Groupe sur la Constitution est erroné

J’ai analysé le travail du groupe de travail sur la Constitution, et cela m’a apporté une grande déception.

Affirmer que le président désigné sous l’égide de la Constitution de 1987 n’a pas de pouvoirs réels relève d’une vaste plaisanterie. Nos dirigeants n’ont tout simplement pas su comment exercer le pouvoir présidentiel tel qu’il est défini dans notre Constitution.

Soutenir que le pouvoir réel est détenu par le Premier ministre, non élu par le peuple, constitue une autre aberration. La fonction de Premier ministre, établie comme contrepoids au président de la République, n’a en rien diminué l’importance de la fonction présidentielle en Haïti. Ce système de partage des pouvoirs, où le président de la République et le Premier ministre exercent des compétences distinctes, exige plutôt une collaboration étroite et un dialogue permanent sur les questions fondamentales et les politiques à adopter ensemble, afin de garantir la démocratie, l’État de droit et le bon fonctionnement de l’État.

Argumenter que le Parlement haïtien est tout-puissant en raison de l’absence du droit de dissolution des Chambres attribué au président, alors que ce droit est censé garantir un principe fondamental de l’État de droit, à savoir l’égalité politique, relève d’une grande incohérence. En ce qui concerne l’absence du droit de dissolution dans le texte de 1987, les constituants ont fait preuve d’une grande habileté juridique et intellectuelle en imposant une rationalité tirée de notre histoire et de notre contexte politique.

Les présidents, souvent animés par une obsession du pouvoir personnel, refusent systématiquement d’accepter les mécanismes de pondération et de modération des pouvoirs de l’État, caractéristiques d’un véritable État de droit. En réalité, ce que l’on cherche à imposer au pays, c’est une forme d’absolutisme présidentiel, à l’instar de la situation actuelle. Nous nous retrouvons avec un pouvoir sans contrôle, dépourvu de toute transparence et qui écarte l’éthique gouvernementale. Ce modèle de démocratie autoritaire, que l’on souhaite installer en Haïti, invite le peuple à choisir ses représentants tous les cinq ans, mais uniquement pour légitimer des politiques qui ne correspondent en rien à ses véritables préoccupations.

La réforme constitutionnelle est un projet souterrain, faisant partie d’une stratégie globale visant à remettre en question notre indépendance nationale.

Comment organiser un référendum pour le 11 mai 2025 lorsque le projet de constitution sur lequel les citoyens seront appelés à se prononcer n’a pas été vulgarisé et ne fait l’objet d’aucun débat, tant dans les milieux académiques que populaires ? C’est un véritable coup fourré, une manœuvre désespérée d’une certaine caste de la société haïtienne, qui ne rêve que d’une société de privilèges. Les amendements de 2011 en sont la preuve : ils marquent la volonté d’une élite de priver les populations locales de toute participation aux décisions concernant la gouvernance de leur pays.

Pour ce qui est des sommes importantes dépensées entre petits copains pour mettre en marche cette mascarade de réforme constitutionnelle, dans un contexte de grande détresse haïtienne inédite, il est évident que des questions légitimes surgiront lorsque la nation exigera des comptes.

Haïti n’a pas de problème constitutionnel majeur

À l’heure actuelle, nous incarnons la seule position capable de mettre fin à toutes les tragédies que traverse notre nation. Nous sommes l’opposition à tout ce qui est fait en ce moment, car ces actions nous conduisent davantage vers une perte totale. Nous avons une responsabilité politique, éthique et intellectuelle à assumer, et nous souhaitons la prendre pleinement en charge pour la rédemption de notre patrie, afin de redonner à chaque Haïtien une raison de croire et d’espérer.

Pour le moment, Haïti n’a pas de problème constitutionnel majeur. L’intérêt principal de la population réside dans le rétablissement de la sécurité, qui passe nécessairement par la mise en place d’une nouvelle gouvernance. La Constitution de 1987 a fait ses preuves, malgré les critiques.

Elle a permis d’éviter l’inacceptable et de préserver l’indispensable pendant ces trois dernières décennies. D’ailleurs, nous continuerons à nous y référer dans la défense des droits des citoyens, en particulier des justiciables, car cette charte fondamentale est très généreuse en matière de garanties essentielles.

La Constitution de 1987, œuvre collective de notre nation, n’a pu avoir de réalité effective qu’en fonction des forces morales, économiques, intellectuelles et politiques qui l’ont soutenue. Les difficultés rencontrées dans son application sont dues au fait qu’Haïti possède des élites sauvages, réfractaires aux normes, qui se révèlent incapables d’évoluer dans un pays démocratique, moderne, dominé par les principes de l’État de droit et de la bonne gouvernance. En raison de notre difficulté à accepter les normes, aucune constitution — qu’elle soit techniquement bien rédigée, politiquement équilibrée ou même élaborée par une divinité — ne sera jamais véritablement appliquée en Haïti. Cela soulève la question : pourquoi nos lois, pourtant jugées excellentes, n’ont-elles jamais été appliquées ?

Aujourd’hui, la véritable menace ne réside pas dans la constitution elle-même, mais dans le projet réactionnaire imposé par des forces rétrogrades, agissant sous le diktat des puissances étrangères. En effet, c’est l’existence même de la nation qui est remise en question au sein des centres de pouvoir mondiaux, qui cherchent à transformer Haïti en un simple territoire transnational. Ces petits agents locaux, déjà alignés malgré leurs faux discours nationalistes, ne rêvent que de profiter de l’argent facile.

Au-delà des réformes structurelles indispensables, les citoyens de tous horizons, témoins d’une détresse humaine sans précédent dans leur pays, attendent des actions concrètes de la part des nouveaux dirigeants pour redresser la situation. Il est plus que jamais nécessaire de faire entendre des voix fortes et légitimes pour offrir à notre nation une nouvelle direction, claire et déterminée. Nous devons nous engager résolument dans une action patriotique.

Il faut aimer la loi et la vouloir !

Dans ce contexte où nous semblons glisser inexorablement vers la chute, certains silences sont particulièrement inquiétants, comme celui du prestigieux barreau de Port-au-Prince, dont je fais partie, ainsi que des grandes voix de la communauté juridique nationale, des intellectuels, des écrivains et des artistes qui, autrefois, se levaient pour dénoncer ce qui est inadmissible et inacceptable. Pourquoi se sont-ils tus ou endormis à un moment où l’existence de la nation n’a jamais été aussi menacée, alors que nous faisons face à une gouvernance hybride, mi-publique, mi-privée, réunissant des autocrates affamés, dépourvus de toute consistance intellectuelle et idéologique ? Cette gouvernance efface les frontières conceptuelles entre l’État et la société civile, entre l’intérêt général et l’intérêt privé.

Comme le disait, avec une ironie mordante, celui qui le savait : la nation prend acte de ce fait incontournable, à savoir que la criminalité organisée, la corruption des élites et les trafics en tout genre sont des actions entreprises par ceux qui, paradoxalement, sont censés incarner le « bon camp » de l’Histoire.

Notre combat est constant et notre détermination inébranlable ! Notre mot d’ordre reste le même : le peuple ne participera pas, et ne se soumettra pas au référendum illégal du CPT. Les articles 282 à 284-4 de la Constitution de 1987, toujours en vigueur, à laquelle les dirigeants de facto se réfèrent fréquemment pour légitimer leurs décisions, nous apportent un soutien sans faille dans notre refus catégorique.

Je le répète avec force : le respect de la loi ne repose pas uniquement sur sa qualité technique, politique ou idéologique, ni sur sa raison d’être. Il dépend avant tout de la volonté des gouvernants, mais aussi des citoyens, à la fois de leur engagement à la respecter et de leur niveau d’éducation. En somme, le respect de la loi est d’abord une question d’éducation.

Il faut apprendre aux Haïtiens à aimer la loi et la vouloir.  On ne peut pas donner des lois à des individus pour assurer leur respect qui n’aspirent qu’à la brutalité pour gouverner et assurer leur domination. Il serait plus judicieux de les éduquer d’abord avant de leur imposer des lois. Formez des hommes, et tout ira pour le mieux !

Je n’ai cesse de le répéter : le respect de la loi commence par la formation de l’esprit et du cœur. Ce n’est qu’en cultivant la dignité humaine, la compassion et la responsabilité que nous pourrons espérer voir une société véritablement juste et respectueuse des règles. Éduquer, c’est bâtir un avenir plus serein et plus solidaire pour tous.

Sonet Saint-Louis

29 mars 2025

Tél : +509-44073580

sonet.saintlouis@gmail.com

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