17 motos, 17 gifles!
Par Lionel Edouard
Quand l’humanitaire déshumanise !
Georges Anglade dans son « éloge de la pauvreté » prend le temps d’effectuer une différenciation entre le pauvre et le mendiant (Malere ak Pòv). Le second c’est celui qui fait face à l’extrême misère avilissante. Des conditions dans lesquelles en moins de cinq ans le pays se trouve précipité tant par les actions des acteurs internes que celles des acteurs externes.
Les élites ont cassé tous les repères et ont livré Haïti aux assauts de l’humanitaire. La guerre des ONG est permanente dans cette République du tout est permis. Une guerre qui nous enfonce un peu plus dans la géhenne et qui accentue la dépendance du pays vis-à-vis de l’international. En ces temps de désespérance, l’absurde solution de camper « la pauvreté comme un levier pour soulever le pays » est une gifle terrible à cette Nation qui a cassé l’ordre colonial esclavagiste.
La compassion est un principe fondateur de l’humanitaire en ce sens qu’il porte l’«autre à plaindre et à partager les maux d’autrui. » Dans le cas d’Haïti, où le processus d’appauvrissement des masses a atteint son paroxysme, grâce au chaos permanent issu de la situation de misère, d’insécurité et l’incertitude qui sévit, l’occident humanitaire ne manifeste aucune compassion. Il nous enfonce. En démantelant les structures de l’État, il contribue directement par ses actions à pourrir un peu plus la situation, notamment grâce à leurs représentants nationaux placés au cœur des pouvoirs politiques. Nul doute, l’occident est en guerre ouverte contre Haïti !
L’irrespect qui a accompagné récemment certaines actions des agents humanitaires occidentaux s’inscrit dans cette perspective d’avilissement de la nation et de déshumanisation de l’Haïtien qui devient une victime idéale susceptible d’obtenir la pitié internationale. Nous nous rappelons, non sans honte, cette fameuse distribution de seau (bokit) à la Ministre de la Santé publique, lors de la pandémie de Covid-19, qui laissa sans voix, l’observateur le plus inculte. Et tout récemment ces 17 motocyclettes reçues par la Police Nationale d’Haïti qui, pourtant, est en guerre contre les gangs qui terrorisent la population depuis 3 ans.
Ces donations teintées d’irrespect à un moment où le pays fait face à l’une des plus grandes crises de son histoire, révèlent la vraie nature de nos dirigeants et leurs rapports avec la frange de l’international qui compose le Core group. Ce sont des rapports d’asservissement entre anciens colonisés et anciens colons. Le gros du problème c’est que ces anciens colonisés n’ont jamais développé une conscience de leur indépendance, et semblent négocier leur liberté pour se maintenir au pouvoir et/ou au timon des affaires. Comme le souligne Édouard Glissant dans son Discours Antillais, ils « sont incapables de se rebeller ». C’est là la plus grande réalisation de l’ancien colon.
Les plus avertis savent que l’humanitaire est aujourd’hui une arme, non seulement de la diplomatie également de la machine de guerre occidentale. Il est ce que Michel Agier appelle la « main gauche de l’empire ». Cette main qui soigne et qui fait accepter l’inacceptable généré par la guerre silencieuse ou brutale qu’impose l’occident au reste du monde. Elle a donc pour vertu de cacher sous un voile d’ignorance les exactions du capital international qui meut la machine économique occidentale. Le drame, dans notre cas, cette main ne soigne rien. Elle ne cache rien. L’international impose et détruit tout, sans se masquer.
L’incompréhension qui plane dans l’opinion suite à ces dons de motocyclettes est légitime. Car, il est de principe que le don soit « radicalement désintéressé et altruiste » pour reprendre Michel Caillé. C’est ce que vend l’occident dans son marketing humanitaire. Mais nous savons tous que ce n’est qu’un emballage. Parce qu’au final, toute guerre a des finalités économiques. Par conséquent, la donation qui l’accompagne est intéressée et proportionnelle au butin.
La grande question est aujourd’hui, qu’avons-nous à offrir à ces autres qui nous « donnent » ? ou mieux, qu’est-ce que ces autres peuvent encore nous prendre pour compenser leurs investissements dans la guerre qu’ils nous livrent ? Le refus du Canada de prendre la tête d’une force d’intervention internationale en Haïti est symptomatique du manque d’intérêt ou d’attrait d’Haïti, même si l’international considère qu’elle doit-être mise sous contrôle en permanence.
Face à ce processus de pourrissement consenti de la situation socio-politique du pays, il est pénible de constater l’attitude défaitiste des citoyens qui, malgré « Bwa Kale », restent en léthargie. Le voile d’illusion que peuvent représenter des programmes sporadiques comme « Biden », ne doit soustraire le citoyen au devoir de construire sa communauté et de rapatrier, dans notre cas, la gouvernance du pays. Ce qu’il faut retenir de toute cette illustration peut se résumer en quelques mots empruntés à Joseph Schumpeter dans son texte intitulé Capitalisme, Socialisme et démocratie : « la relation qui s’établit entre la classe capitaliste et le prolétariat est, nécessairement, une relation de lutte – de guerre des classes ».
Avec la destruction des structures de production en Haïti, nous subissons de plein fouet les assauts des capitalistes internationaux. Haïti est transformée en une société d’absorption qui vit des résidus du capital international. Les grands bénéficiaires restent les élites corrompues qui dirigent et qui maintiennent le pays dans la crasse sous la sainte protection de l’ancien maitre. Qu’on nous donne des motocyclettes pour équiper la police alors que le Canada peine à nous envoyer les armes que nous avons commandées est une situation normale et un témoignage de la perception de l’international des élites dirigeantes qu’il a toujours infantilisées.
Au final, à des adultes on donne ce qui est nécessaire, et à des enfants on donne toujours des jouets. C’est le temps de la distraction, n’est-ce pas ?
LEPS le MAGnifik